[Critique] Lefa - Nouvel projet : DMNR (le 02.04.2021)

Lefa l'a annoncé sur une vidéo instagram il y a de cela une petite dizaine d'heure : Un nouveau projet va arriver d'ici ce soir minuit.



Le Teaser est on ne peut plus claire : Il s'agit d'un nouvel album. Aucun indice pour le moment, sauf une pochette (à l'esthétique proche de certaines propositions qui avait été faites ici), une date et un titre : DMNR - c'est-à-dire D.M.N.R, acronyme à consonnes de Démineur. Les plus rapides (ou les plus chômeurs) auront sans doute pu rentré sur le groupe Whatsapp proposé sur l'insta au bon moment : Ils sont priés de se dénoncer, qu'on sache ce qui s'y trame (screen sinon fake).

Alors, qu'attendre de ce projet ? Les temps ayant changé, sans doute quelque chose fleurant moins la trap d'Atlanta que la Drill de Chicago, et qu'il y a grave moyen qu'il mette à l'amende le Fléau. Pas d'indication sur le projet, mais il pourrait être plutôt court et assez dense, et, COVID oblige, ne sortir qu'en virtuel. Ce qui me fait chier car je préfère les CD à Spotify. À streamer, donc.

Toujours des projets des nouveaux projets (Alpha vol.1 de Black M, Etoile filante de Maska, Réédition du Fléau), mais concerant le Retour des Rois, toujours pas de news.

Critique de "DMNR" - un mauvais démineur, une mine correcte

Alors, j'ai écouté le projet, et, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est osé.

Comme prévu, court et concis, très court même, 12 pistes, 30 minutes et quelques de contenu, des sons ne dépassant presque jamais les 2:50. Il y a des "albums" qu'on aurait nommé EP, ou Mixtape pour moins que ça - d'autant plus lorsqu'on réalise qu'il n'y a pas de fil conducteur entre les morceaux, hormis le partage d'une esthétique, ou d'une tentative esthétique, commune.

Entrons directement dans le vif du sujet : Les prods du projet ne m'ont de loin pas toute emballée. Énormément de YoungK, pas forcément toujours bien inspirés. Plutôt efficace pour gérer les hi-hat épileptique drillesque, on ne peut les trouver ni très harmonieuse, ni très inspirée (à l'exception de P.F.P, sur lequel on reviendra). Reste de magnifique prod de MLK, qui a déjà régalé sur Famous ("Bitch", c'est lui).



Et d'autres essais, notamment d'un certain DSK, de SeySey et autres. Lefa a voulu s'ouvrir a de nouveaux producteurs, en leur indiquant un délire tout en nappes, tout en sonorités discordantes. Le projet se veut sombre, criard, agressifs, en particulier au plan du discours. Ainsi, la "Chloroquine", le nom du traitement préconisé par LE médecin contestataire Didier Raoult pour mettre fin à l'épidémie de Covid, est également le titre de la 3ème track, dans laquelle Lefa va dénoncer les bavures policières, notamment sur les gilets jaunes. Des lyrics faisant le lien avec la colonisation, l'esclavage, l'occident, la françafrique, les moines pédophiles, la justice divine, les racistes, le blasphème de Charlie Hebdo, les médias menteurs etc. Un texte plutôt, vraiment très engagé, au point presque qui nous rendrait perplexe. On y reviendra.

Arrive ensuite les très nuancé 4 et 5ème morceau produit par MKL, le très bon "Black out" sur lequel Lefa tente un flow que je qualifierai de booba-esque et propose un refrain particulièrement bien foutu. Un morceau Lefa-esque, non pas un égotrip, mais le morceau d'un éternel sous-estimé plein de seum. Ensuite, "En première page", sur des sonorités plus douces, encore un son Lefa-esque, dont le 2ème motif tournant autour du seum nous propose une autre de ces grandes thématique : La paranoïa, ceux qui crachent dans son dos, les médias remixant les événements pour leur faire paraître ce qu'ils ne sont pas - et alimentant des cycles infernaux par leur irresponsabilité, ou leur sadisme, c'est selon.

Démineurs, propose lui aussi un exercice de pitchage sur corde, une rythmique drillesque, oui, avec des backs incroyablement efficace, de toute évidence le morceau le mieux produit. Jolis couplets, refrain agréablement éthéré, sobre. Magnifique. Sur le propos, on retourne à la dénonciation du blasphème, avec des petites envolées, presque spirituelles. Malheureusement, presque complètement HS avec la teneur de l'album, qui aurait mieux fait de s'appeler "Mine explosée", on y reviendra.

Sur ces entrefaits arrive Gang, avec Kalash Criminel (pourquoi un tel choix ?) sur une prod d'Alchimeek (ce qui fait qu'on entend Black M sur un projet de Lefa, enfin !). Lefa commence certes sur des thématiques déjà abordé, les flics violents (organisé comme un "Gang", du moins c'est ce que j'ai cru comprendre), et là, malheureusement on touche au limite du style. Bien sûr, Lefa reprend le cri "Gang" de KCrimi pour lui donner un sens plus riche - sauf que le principal concerné va s'enfoncer dans tout ce qui se fait de pire, de plus caricatural dans ce qu'on apelle le dit "rap conscient". Je ne doute pas que ses propos vont faire souiller leurs frocs aux petits qui s'y connaissent peu en rap, mais, d'une part il n'y a rien de fou, d'autre part la maladresse avec lequel KCrimi dénonce (notamment, le passage à vide sur les "pédophiles") donnent le sentiment, la pire chose qu'il puisse arriver dans ce genre de morceau, qu'on a affaire à des rappeurs qui ont tenté de bourrer des sujets, quitte à partir en dissertation absconses. Gros sabot, les pieds dans le plat, on ne manque pas d'expression pour qualifier ce type d'exercice. Toutes les cases sont cochés, y compris "notre morceau sera boycotté [par qui ? par quoi ?], fuck la censure [bis]". Au moins le morceau est plutôt pas si mal produit, même si basique. ça se laisse écouter, mais, au vu des ambitions affichées, c'est, à mon sens, un échec.

Un efficace égotrip plus tard, avec Captain Roshi (même si j'ai pas réellement compris ce que cet invité a tenté d'exprimer) l'alchimie fonctionne, sur une prod discrète. Arrive P.F.P, expérimental, vraiment l'expérience la plus couillue que Lefa nous ait proposé depuis longtemps, une instru oppressante, un long silence de début, avant de laisser la place à des ponts (refrains ?) entêtants. Guy2bezbar et Rapi Sati, qui se partage un espace imparfaitement délimité, au point où les deux jeunes rappeurs se trouve en concurrence pour tenter de l'occuper, dans un échange typique des freestyle, avant de répéter avec régularité leurs gimmicks. Franchement, depuis

Si un instrument devrait symboliser DMNR, ce serait un instrument à corde. Janet est un bon exemple d'un morceau plus apaisé... Mais pas lover. C'est un son de rupture, rupture amoureuse, mais aussi en rupture avec la forme traditionnelle des sons lovers. Plutôt raccord avec le reste du projet, au fond. Il en va de même avec sa suite logique, "Paies", rupture, là aussi, non pas consommé, mais en train de se faire.

Arrive le plat de résistance, déjà annoncé, référence ultime (difficile à prouver ceci dit) à l'ancien morceau des Chroniques "Fin des Temps", nous montre un Lefa en course, proposant, enfin, un flow spécifique à sa personne.

Quel était le but du projet ? Je vais pas vous faire un dessin, il s'agit d'un disque d'évacuation, certes. Mais un disque d'évacuation qui permet à Lefa de surnager parmi les nouvelles tendances qui sont devenus de plus en plus invasive dans le rap actuel. Lefa et ses managers ont fait simple.

LMF + Dondada vol.1 = À d'accord, le fait de balancer des punchlines à la limite de la controverse, ça fait vendre. Bon, comment nous placer sur ce nouveau marché ?

"DMNR" est la réponse, pas pourrie mais pas non plus irremplaçable, à cette nouvelle demande - et une manière pour Lef', à présent à 100% intégré au monde du rap, de donner le change, en livrant un projet court, dense, contestataire, parfois bidon, mais esthétiquement toujours fidèle à ses principes : À savoir un album sombre, dégueulant de propos (comme si Lefa avait quelque chose à se faire pardonner après le succès de Fame+Famous) pour suivre les tendances drillesque (puisque, oui, dire tout un tas de connerie polémique est une spécialité de ce milieu), donner une impression brute, confuse, crade.

Mais Lefa n'est pas ici un démineur, agissant avec subtilité pour éviter que tout explose, mais bel est bien un artificier, faisant exploser, à dessein autant que par posture, la mine qui était posé là, à savoir, l'éléphant dans le couloir : La polémique.

Un projet dont l'intention me convainc assez peu, malgré plusieurs morceaux réussi. Une exercice de style, bien plus qu'un album. La proposition conviendra ou non aux auditeurs habituels de Lefa (pas sûr que d'éventuelles Gwendoline et autres fans de LaFouine ou de 47ter y trouvent leur compte) - une chose est sûre, le projet annonce une redirection artistique sur le prochain projet.

La question, persiste, reste la suivante : Lefa a-t-il le talent, pour, en 2021, se laisser aller au rap subliminal et dissident ? À mon avis, "DMNR" a plutôt tendance à répondre par la négative à cette affirmation. Trop balourd, peut-être par manque de mise à jour. En effet, l'engagement politique dans le rap a changé depuis "La Terre du Milieu", Lefa n'en a pas pris note, préférant la proposition artistique, la posture esthétisante à un propos réellement solide, fouillé, non-manichéen comme savent le proposer des Alpha Wann ou des Freeze Corleone.

Néanmoins, il est, à l'heure actuel, l'un des rares à tenter d'équilibrer harmonie et cette forme particulière de désharmonie porté par le propos. Tout reste donc possible, tout est ouvert. La question est de savoir s'il voudra s'obstiner à faire ce que font les autres, ou à tracer sa route dans le rapgame.